Carlos Tavares, autrefois salué comme un leader transformateur, a été contraint de démissionner de son poste de PDG de Stellantis face à des critiques croissantes concernant sa gestion des opérations américaines vacillantes de l’entreprise. Ce départ, effectif immédiatement, intervient un an et demi avant la fin de son mandat, laissant Stellantis sans leader permanent durant l’une de ses périodes les plus difficiles.
Le point de rupture : opérations américaines en chute libre
Le point de basculement pour le départ de Tavares a été la forte baisse du marché nord-américain de Stellantis, qui représente la région la plus rentable du constructeur automobile. En proie à un manque de nouveaux modèles, à des prix de véhicules élevés et à des mesures drastiques de réduction des coûts, la branche américaine a enregistré une baisse de 17 % des ventes et une chute vertigineuse de 27 % des revenus au cours du troisième trimestre de 2024. Les showrooms à travers le pays étaient inondés d’inventaire invendu, signalant une crise plus profonde.
Le focus agressif de Tavares sur les bénéfices à court terme, qui lui a valu un bonus de 36 millions d’euros en 2023, a suscité de vives critiques de tous côtés : concessionnaires, fournisseurs, syndicats, et même des membres puissants du conseil d’administration de Stellantis, y compris la famille Agnelli, la famille Peugeot, et le gouvernement français.
Les conséquences : tensions avec le conseil d’administration
Le conseil d’administration de Stellantis aurait eu des conflits avec Tavares en raison de sa quête monomaniaque de réduction des coûts, que de nombreux initiés estimaient ignorer les besoins stratégiques à long terme. Des sources proches de la situation ont déclaré à Reuters que l’accent mis par Tavares sur des solutions immédiates pour sauver sa réputation avait finalement aliéné des parties prenantes clés.
« Sa crédibilité a été brisée par l’effondrement de la rentabilité en Amérique du Nord », ont noté des analystes de Bernstein, soulignant que Stellantis avait dû réduire ses prévisions de bénéfice pour 2024, les marges opérationnelles tombant de deux chiffres à seulement 5,5 % – 7 %. Le flux de trésorerie disponible de l’entreprise est également tombé dans le rouge, avec des projections d’un montant négatif de 5 à 10 milliards d’euros.
Un héritage de turbulences en Amérique du Nord
Le mandat de Tavares aux États-Unis a été marqué par une insatisfaction croissante. Les concessionnaires l’ont accusé de saper les marques américaines emblématiques de Stellantis—Dodge, Ram, Jeep et Chrysler—tandis que des syndicats comme les United Auto Workers (UAW) ont critiqué ses mesures de réduction des coûts sévères et son incapacité à tenir ses promesses. Le président de l’UAW, Shawn Fain, a déclaré sans détour : « Tavares laisse un héritage de licenciements douloureux et de véhicules trop chers. »
Kevin Farrish, président du réseau de concessionnaires de Stellantis aux États-Unis, a fustigé Tavares en septembre pour avoir privilégié les gains à court terme afin d’augmenter son bonus. « La dégradation rapide des marques de l’entreprise et les décisions prises uniquement pour le profit étaient insoutenables », a déclaré Farrish.
Même les fournisseurs se sont retrouvés en désaccord avec le PDG intraitable, un initié de l’industrie déclarant à Bloomberg : « Personne en Amérique du Nord ne va le regretter. »
Effondrement des actions et préoccupations des investisseurs
Le remaniement de la direction a fait plonger les actions de Stellantis. Lundi, l’action de l’entreprise a chuté de plus de 6%, atteignant un plus bas de deux ans à 11,7 €. Les analystes ont exprimé des inquiétudes quant à la décision de laisser Stellantis sans PDG jusqu’à mi-2025, Daniel Roeska de Bernstein faisant remarquer : « Le marché s’interrogera sur la raison pour laquelle le conseil d’administration a pensé qu’aucun PDG était mieux que de garder l’actuel. Il est difficile de voir cela comme un développement positif. »
De star à bouc émissaire : l’ascension et la chute de Tavares
Tavares a rejoint PSA en 2014 et a joué un rôle clé dans l’orchestration de la fusion en 2021 entre Fiat Chrysler et le groupe PSA, créant Stellantis. Sa réputation de coupeur de coûts implacable a d’abord porté ses fruits, mais son approche a commencé à faiblir alors que les parties prenantes nord-américaines devenaient de plus en plus désillusionnées par des lignes de produits obsolètes, des stocks gonflés et une part de marché en baisse.
David Bailey, professeur à la Birmingham Business School, a déclaré à la BBC que le déclin nord-américain avait scellé le destin de Tavares. « Avec des produits obsolètes, une part de marché en diminution et une insatisfaction croissante parmi les fournisseurs, les concessionnaires, les travailleurs et les investisseurs, sa position est devenue intenable. »
Quelle est la suite pour Stellantis ?
Stellantis fait face à un défi de taille alors qu’il cherche un nouveau PDG tout en essayant de stabiliser ses opérations. L’équipe de direction intérimaire, dirigée par John Elkann, devra reconstruire la confiance avec les parties prenantes et s’attaquer à des défis profondément enracinés sur le marché américain.
Pour Tavares, son départ marque une chute spectaculaire de grâce, alors que son style de leadership autrefois salué s’est révélé incapable de guider Stellantis à travers les complexités de son plus grand et plus rentable marché. Alors que la poussière retombe, l’entreprise—et l’industrie—observeront de près pour voir si Stellantis peut redresser la situation ou si le départ de Tavares n’est que le début de problèmes plus profonds.